Comment définir la relation entre l’observation des pratiques enseignantes et l’évaluation des pratiques ? Quelles différences majeures entre le contrôle et l’évaluation des pratiques ? Dans ce texte, le Professeur Talbot traite de l’évaluation en l’inscrivant dans le cadre du travail mené par le groupe d’experts dont il fait partie: le Groupe Thématique d’Expertise 1 « Professionnalisation des acteurs ». Le Professeur Talbot enseigne à l’Université de Toulouse (France), au département des Sciences de l’Éducation et de la Formation.

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, et notamment dans celui des sciences de l’éducation et de la formation, il est d’usage de différencier les pratiques d’évaluation à celles de contrôle. De fait, en étant moins connotée, la notion d’évaluation marque une rupture avec la notion de contrôle depuis les années 1968. L’évaluation est un temps d’arrêt où l’on s’interroge sur les pratiques d’enseignement-apprentissage réalisées afin de les analyser et les améliorer (Altet, 2021 ; Vacher, 2021). Ce point est essentiel. Il s’agit de s’interroger sur ce qui est en train de se passer tout en prenant en compte le contexte dans lequel se développe ces pratiques (Clanet, 2012). 

On peut dire (Talbot, 2012) que l’évaluation ne fait pas référence à un ensemble d’objectifs donnés à l’avance. C’est, en effet, en évaluant des pratiques d’enseignement des professeurs ou d’apprentissage des élèves que l’évaluateur construit ses propres référentiels et qu’il juge. L’évaluation peut se définir comme la mise en regard, l’appréciation des écarts entre un référé (l’observable, le résultat) et le référent (l’attendu, les objectifs, le référentiel de compétences). Cette opération ne peut s’effectuer que par la « traduction » du référent en indicateurs observables (quels indicateurs observer ?). Dans l’évaluation, ces éléments de référence ne sont ni extérieurs, ni antérieurs à la situation, au contexte comme la norme ou le gabarit requis par l’opération de contrôle, nous le verrons plus avant. Cette élaboration (plutôt co-élaboration entre évaluateur et évalué) requiert un travail sur les valeurs en jeu, ce qui nous renvoie précisément à l’étymologie de la notion (l’évaluation est valeur, vient du latin ex valuere : sortir de la valeur de…).  

Evaluer devient alors un acte global où de multiples connaissances, compétences sont appréciées parce que le produit lui-même relève d’une complexité impossible à analyser dans sa totalité bien souvent. Les évaluateurs (inspecteurs, formateurs, professeurs…) ne sont pas interchangeables car, même s’ils s’efforcent de faire abstraction de leur subjectivité, ils sont impliqués dans le processus d’enseignement-apprentissage. Lorsqu’on évalue, on prend en compte le contexte en cours et la logique interne qui a présidé à la production qu’on juge. Lorsque l’enseignant évalue les connaissances de ses élèves, il va considérer les séquences d’enseignement antérieures, tout le travail préalablement réalisé auprès des apprenants. 

Ainsi, l’évaluation se donne à voir avec un double profil. D’une part, l’évaluation est une démarche essentiellement qualitative puisqu’elle relève d’une attitude philosophique posant la question de la valeur (et donc qu’est-ce qui est important d’observer ?), en même temps que les problèmes du sens et des significations d’une pratique donnée. Mais, d’autre part, c’est aussi plus souvent, un dispositif constitué de pratiques, de méthodes, de techniques et d’outils visant l’analyse, de façon quantitative, des données recueillies.   

On peut recenser quatre approches de l’évaluation que nous complèterons en précisant encore la distinction entre évaluation et contrôle.  

Tout d’abord, nous l’avons vu, l’évaluation est valeur. Au sens de valeurs, on peut entendre les valeurs spirituelles, morales, esthétiques, philosophiques, politiques et existentielles mais également les valeurs matérielles. Ainsi, l’évaluation confère une valeur, elle constitue une estimation de valeur. Evaluer quelqu’un ou quelque chose apparaît donc comme l’élaboration d’une appréciation ou d’une estimation. Au sein du programme APPRENDRE, les pratiques d’évaluation marquent la volonté de faire un retour sur les pratiques d’enseignement, de formation ou d’apprentissage pour interroger la valeur de ces actions jusqu’à envisager la nécessité d’ajustements et de remédiations. 

Deuxièmement, l’évaluation est mesure. Elle réside dans la mesure d’écart par mise en rapport de deux états successifs d’une même chose ou d’un état présent et d’un état souhaité (développement d’une compétence, une copie et un corrigé type, …). Ici, deux éléments essentiels caractéristiques de l’évaluation sont à prendre en compte : la comparaison (à une norme explicite ou implicite) et le constat (un état des lieux).  

L’évaluation est également une production de sens. On peut distinguer deux emplois du mot sens : le sens comme signification et le sens comme direction.  Au sens de signification, il faut entendre que l’évaluation ne prend son intérêt que par l’explication à laquelle elle concourt, par l’interprétation qui lui est donnée. L’évaluation est une plus-value de sens, une découverte à travers une analyse du processus d’enseignement-apprentissage. Au sens de direction, une pratique nouvelle a besoin, à chaque fois, de tracer son chemin sinon de l’inventer et l’évaluation peut aider à le frayer et à donner du sens.  

De plus, il convient de remarquer le caractère dynamique de l’évaluation. L’évaluation en éducation est le processus par lequel on délimite, obtient et fournit des informations utiles permettant de prendre des décisions à venir. L’évaluation part des pratiques, porte sur les pratiques, revient aux pratiques. Elle pilote les pratiques, la fait évoluer dans la direction visée ou dans une direction modifiée. En ce sens, elle se différencie du contrôle. 

Le contrôle est, tout à la fois, un système, un dispositif et une méthodologie, constitués par un ensemble de procédures, ayant pour objet (et visée) d’établir la conformité (ou la non-conformité), si ce n’est l’identité, entre une norme, un gabarit, un modèle, et les pratiques qu’on y compare. Le contrôle s’effectue à partir d’un modèle de référence qui est toujours construit de manière extérieure et antérieure à l’opération de contrôle proprement dite. Dès lors, contrôler consiste à comparer les résultats obtenus, « les produits finis » aux objectifs poursuivis qui ont été définis préalablement sans prendre en compte les processus d’apprentissage ou d’enseignement eux-mêmes ou les contextes dans lesquels ils se développent. Ainsi, le contrôle est lié à la volonté de vérifier l’adéquation qui existe entre ce qui est attendu et ce qui est observé. Il traduit le souci de se conformer à la norme. 

Notre objectif au sein du programme APPRENDRE est bien de nous centrer sur l’étude des pratiques d’évaluation afin d’en faire une aide conséquente à l’analyse des pratiques d’enseignement-apprentissage. 


Bibliographie   

Altet, M. (2021). Qu’est-ce qu’enseigner ? Ou comment le programme APPRENDRE cherche à comprendre la dynamique du processus interactif enseignement-apprentissage. AUF. 

Clanet, J. (2012). Pratiques enseignantes. Quels ancrages théoriques pour quelles recherches ? L’Harmattan. 

Talbot, L. (2012). L’évaluation formative. Armand Colin. 

Vacher, Y. (2021). Observer et analyser : deux activités professionnelles au cœur du programme APPRENDRE. AUF. 


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