Qu’est-ce qu’enseigner ? Ou comment le programme APPRENDRE cherche à comprendre la dynamique du processus interactif-enseignement-apprentissage, par Prof. Marguerite Altet

Depuis le lancement du programme, en 2018, le Groupe Thématique d’Expertise 1 ㅤㅤ« Professionnalisation des acteurs » a animé des formations dans treize pays: au Bénin, au Burkina Faso, au Burundi, au Cameroun, au Congo, à Djibouti, au Mali, au Maroc, au Niger, en République démocratique du Congo, au Sénégal, au Tchad, et au Togo. Au total, ce sont près de 600 formateurs qui ont renforcé leurs compétences en Observation et Analyse des Pratique Enseignantes. Dans cet article, Marguerite Altet, professeure émérite à l’Université de Nantes, et Coordonnatrice du GTE, revient sur les principes qui guident ces ateliers. Ce premier texte sera suivi d’articles théoriques rédigés par les experts du GTE 1, afin d’exposer les fondements de leur approche.

Praticiens et chercheurs s’accordent pour dire qu’un enseignant enseigne pour faire apprendre, que sans sa finalité d’apprentissage l’enseignement n’a pas de sens car l’enseignement-apprentissage constitue un couple indissociable « ils forment les deux faces d’une même chose » (Richelle, 1986). Pourtant l’enseignant enseigne, les élèves apprennent : ce sont des acteurs et des actes différents mais ce sont leurs interactions en situation autour de l’objet d’apprentissage qui font l’enseignement. Ainsi, c’est plutôt l’articulation d’un processus interactif enseignement-apprentissage dans une situation donnée de communication et de construction de savoirs ou de savoir-faire qu’il s’agit de caractériser si on veut en comprendre le fonctionnement et l’efficacité. 

Les recherches sur l’enseignement ont d’abord porté sur l’observation des stricts comportements de l’enseignant selon un paradigme processus-produit behavioriste (Ryans, 1960) qui réduisait l’étude de l’enseignement aux seuls comportements observables de l’enseignant, variable causale, linéaire, unidirectionnelle. Ensuite dans les années 90, divers chercheurs (Altet, Bru, Clanet, Gauthier, Lenoir, Tupin, Vinatier) ont proposé un modèle  interactionniste, intégrateur qui a visé l’articulation de plusieurs types de variables, personnelles, processuelles et contextuelles en interaction, variables concernant l’enseignant, mais aussi l’apprenant et la situation, pour comprendre et expliquer le fonctionnement de la pratique enseignante dans sa complexité à partir de l’étude des processus interactifs, des inter-processus en jeu et des différentes dynamiques interne et externe. C’est alors le processus interactif enseignement-apprentissage qui est analysé. Dans la lignée des travaux de M. Altet (1994, 1996, 2000), de ceux du réseau OPEN (Observation des Pratiques Enseignantes), piloté par M. Altet, M. Bru, C. Blanchard-Laville (2002-2012), mais aussi des travaux anglo-saxons sur les variables efficaces de Hattie J., (2003, 2009), ou des travaux nord-américains de Hamre, B.  Pianta et al. (2013), la pratique enseignante est définie à partir de trois domaines constitutifs : le domaine relationnel, qui recouvre le climat et les relations créés en classe par la personne de l’enseignant ; le domaine pédagogique-organisationnel, constitué par les activités Enseignant et Elèves menées en situation, par les conditions d’apprentissage organisées par l’Enseignant et le domaine didactique-épistémique formé par la gestion du champ des savoirs, de leur structuration et des apprentissages en jeu (Altet & Vinatier, 2008). Pour comprendre leur efficacité, ces trois domaines constitutifs des pratiques sont mis en relation avec les caractéristiques personnelles sociocognitives de l’enseignant (Clanet, 2005) et le contexte dans lequel se déroule l’enseignement-apprentissage.  

Le programme APPRENDRE a adopté cette approche multidimensionnelle de la pratique enseignante et s’efforce de rendre compte de sa complexité par l’enchâssement étroit du relationnel, de la didactique et du pédagogique dans toutes les activités de l’enseignant et avec son impact sur les apprentissages.  

A la suite du projet OPERA1, le Programme s’appuie sur la mise en œuvre de l’observation-description (et non évaluation) des pratiques effectives en classe, sur leur analyse pour caractériser et comprendre l’articulation entre les multiples dimensions relationnelle, pédagogique, didactique, temporelle, psycho-sociale à l’œuvre dans une pratique enseignante, en en dégageant les effets sur les apprentissages. Les activités d’enseignement-apprentissage mises en œuvre par les enseignants sont analysées comme agissant en tant que médiation pédagogico-didactique sur le processus d’apprentissage et sur les activités des élèves, leurs résultats et leur médiation cognitive en contexte. La situation d’enseignement-apprentissage est l’espace de rencontre de cette double médiation Enseignant-élèves  autour d’un objectif de savoir en jeu ; elle est analysée pour en comprendre le fonctionnement.  

Les outils d’observation construits dans APPRENDRE ne sont pas uniquement centré sur une mesure des comportements de l’enseignant, mais portent à la fois sur l’enseignant et sur les apprenants dans une situation d’enseignement-apprentissage donnée avec un objectif d’apprentissage visé. Pour chaque élément du processus enseignement-apprentissage à observer et à travailler (par exemple la consigne, la différenciation, la gestion des erreurs…), ce que fait l’enseignant est décrit à l’aide d’indicateurs en interaction avec ce que font les apprenants et les indices prélevés à la fois chez l’enseignant et les apprenants permettent de mettre en relation et de comprendre ce qui se joue dans les trois domaines constitutifs de la pratique, les domaines relationnel, pédagogique et didactique, dans leur articulation fonctionnelle pour faire réussir les apprentissages.  

La démarche compréhensive « d’analyse de pratiques » de mise en relation enseignant-apprenant-savoir, amène les enseignants à prendre conscience de ce qu’ils font et font faire aux élèves pour qu’ils apprennent et lors de difficultés vécues, à concevoir de nouvelles pratiques pour améliorer les apprentissages, transformer leur pratique pour faire en sorte que chaque élève puisse progresser du mieux possible dans ses apprentissages. 

Cette démarche d’observation et d’analyse réflexive est elle-même articulée à une démarche et posture d’accompagnement par des encadreurs, inspecteurs et conseillers pédagogiques, qui n’observent pas l’enseignant en recherchant une norme idéale à atteindre, mais prennent en compte les problèmes de chaque enseignant observé pour l’aider à trouver des solutions en fonction de ce qu’il est, et de ce qu’il a fait en prenant en compte ses préoccupations. Cela demande aux encadreurs de passer de la posture verticale d’inspection-contrôle à une posture horizontale d’écoute, de confiance, de reconnaissance, de soutien qui permet à chaque enseignant de réfléchir à partir de ses propres préoccupations, de se prendre en mains et de s’engager dans un développement professionnel.  

Les Ateliers du GTE1 d’APPRENDRE qui portent clairement sur le processus interactif enseignement-apprentissage visent à aider l’enseignant à sortir d’opinions toutes faites ou de représentations erronées sur l’apprentissage, à centré son regard sur ce que fait l’apprenant, comment il apprend et ce qu’il apprend, à créer une bascule sur l’apprentissage en prenant conscience de ce qu’il fait et fait faire à l’apprenant afin de faire autrement et de favoriser les apprentissages :  point de départ d’une amélioration de la pratique. Il s’agit aussi de construire chez les enseignants une posture de réflexivité qui les amène à questionner l’exercice de leur propre pratique et à en concevoir de nouvelles davantage centrées sur le processus d’apprentissage et la réussite des apprenant-e-s et ainsi à améliorer la qualité de l’éducation. 


Notes

1 OPERA « Observation des Pratiques Enseignantes dans leur Rapport aux Apprentissages », recherche-formation sur des classes primaires, menée au Burkina Faso  (2013-16) par Altet, M. Paré, A. Sall, N. 


Altet, M. (1994). La formation professionnelle des enseignants. Paris : PUF  

Altet, M., Bru, M., et Blanchard-Laville, C. (2012). Observer les pratiques enseignantes. Paris : L’Harmatan 

Altet, M. Paré, A. Sall, N. (2016) OPERA, Rapport final www.auf.org 

Clanet, J. (2005). Contribution à l’étude des pratiques d’enseignement : Caractérisation des interactions maître-élève(s) et performances scolaires In les Dossiers des Sciences de l’Education, n° 14 pp.11-28. 

Hamre, B. K. (2013). Using Classroom Observation to Gauge Teacher Effectiveness : The Classroom Assessment Scoring system (CLASS). [En ligne] http://www.gse.harvard.edu/cepr-resources/files/news-events/  

Hattie, J. C. (2003). Teachers Make a Difference What is the research evidence? Distinguishing Expert Teachers from Novice and Experienced Teachers. Auckland: October.  

Hattie, J. C. (2009). Visible Learning : A Synthesis of Over 800 Meta – Analyses Relating to Achievement. London & New York : Routledge, Taylor & Francis Group.  

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