Journées nationales de la recherche et de l’innovation en éducation au Sénégal: « La désertion des filières scientifiques »

A l’occasion de la Journée internationale des mathématiques, l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) a accueilli des chercheurs, enseignants, inspecteurs, formateurs, conseillers pédagogiques et élèves-maîtres afin de s’interroger sur les actions à mettre en œuvre pour cultiver la motivation des élèves, et les encourager à s’orienter vers les filières scientifiques. Cet évènement, qui s’est déroulé du 14 au 15 mars 2022, est le fruit d’une riche collaboration entre le programme APPRENDRE, le ministère de l’Éducation, et l’Institut de Recherche pour l’Enseignement de la Mathématique, de la Physique et de la Technologie (IREMPT).

M. Mohamed Moustapha Diagne, Directeur de la Formation et de la Communication, a donné le coup d’envoi des Journées, en rappelant le rôle primordial de la recherche. Il a en effet assuré que le ministère de l’Éducation nationale tiendra compte des conclusions de ces Journées. 



Situation des séries scientifiques au Sénégal 


Durant ces deux journées, chercheurs et praticiens se sont succédé à la chair pour faire un état des lieux des séries scientifiques au Sénégal. 
 

Les Journées ont débuté sur une note positive, avec une remise de cadeaux aux élèves d’une classe de terminale S1. La particularité de cette classe ? Celle-ci n’est composée que de jeunes filles. Comme l’a montré un exposé réalisé par des étudiants de la faculté, cette classe fait exception, dans un paysage scolaire où les filles sont encore sous-représentées. 

La présentation a été préparée par Bachir Seck, élève-professeur en cycle préparatoire au Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Secondaire en Mathématique, à la FASTEF. Elle s’est appuyée sur les statistiques publiées par la Direction de la Planification et de la Réforme de l’Éducation, et s’est notamment penchée sur l’analyse des effectifs globaux sur la période 2013-2021 : 


Le point d’un élève-maître sur les filières scientifiques au Sénégal 

Quel regard portez-vous sur la situation des filières scientifiques au Sénégal ? 

Bachir Seck: Un regard teinté à la fois de peine et d’optimisme. 

La peine résulte du constat généralisé et consensuel de la désertion des filières scientifiques ces dernières années. Les statistiques officielles montrent que la proportion des élèves scientifiques diminue année après année et est beaucoup plus critique pour la filière des sciences fondamentales dénommée S1 à dominantes mathématiques et sciences physiques. L’effectif des bacheliers scientifiques atteint rarement les 30%. Voilà en quelques mots ce qui justifie ma peine. Néanmoins j’ai en moi un optimisme grandissant. Il résulte du fait que tous les concernés par ce fléau (comprenez la désertion) en ont pris conscience et jouent leurs partitions respectives en vue d’inverser la tendance. L’état, en ce qui le concerne, fait de plus en plus la promotion des filières scientifiques à travers l’édifice de nouvelles structures dédiées exclusivement aux études scientifiques comme le lycée d’excellence de Diourbel, l’Institut Africain des Sciences Mathématiques (AIMS) à Mbour ou encore l’érection de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis en Centre d’Excellence en Mathématiques, Informatique et TIC de niveau continental. Quant aux enseignants, ils sensibilisent au maximum les élèves en classe et à travers des journées scientifiques. Enfin les parents sont de plus en plus conscients des enjeux et poussent leurs enfants à poursuivre un cursus scientifique parce qu’offrant plus de perspectives en termes de débouchés professionnels. 

Vous vous êtes vous-mêmes dirigé vers des études scientifiques. Quels sont les facteurs qui ont favorisé ce parcours ? Est-ce que vous avez été inspiré par un professeur ? 

L’amour des études généralement et le goût des disciplines scientifiques particulièrement. Mon but a toujours été de continuer à faire des mathématiques jusqu’à comprendre concrètement son utilité et sa relation avec le monde physique. C’est ce qui m’a poussé à opter pour des études supérieures en mathématiques et applications. D’un autre côté, j’aime partager ce que je sais et aider les personnes autour de moi dans la mesure du possible. Ces deux éléments réunis m’ont naturellement amené là où je suis grâce à Dieu.

Concernant la seconde partie de votre question, je ne dirais pas qu’un professeur en particulier m’a inspiré mais plutôt tous dans leur ensemble à travers leur dévouement, leur don de soi, leur générosité et surtout leur rôle d’éducateur. Ils ont toujours été présents pour m’aider face aux difficultés, m’assister durant les besoins et m’accompagner tout au long de mon cursus. C’est ce qui explique que j’ai opté pour ce métier afin de devenir comme eux. 

Avez-vous le sentiment que la formation initiale prépare suffisamment les futurs enseignants ? Quels aspects devraient être améliorés ? 

Sincèrement oui. La formation prend en compte les différents niveaux à savoir pédagogique, didactique et juridico-administratif. Hormis la consolidation des capacités, nous sommes préparés en amont pour le stage dans des activités prépondérantes comme le visionnage de films ou encore le micro-enseignement. Le stage dure au moins 4 mois durant lesquels nous sommes assistés par des formateurs certifiés. A titre d’exemple avec ce qui se fait en France pour le CAPES en formation initiale, nous avons plus de modules de formation à suivre et notre stage dure plus longtemps. Toutefois certains aspects de la formation initiale des élèves-professeurs peuvent être améliorés comme l’initiation aux Technologies de l’Information et de la communication pour l’Enseignement (TICE) dont le volume horaire est assez réduit ou encore la pratique en rapport avec les affaires de la gestion administrative et budgétaire. 

Comment comptez-vous susciter l’intérêt de vos futurs élèves ? 

En leur montrant le rôle prépondérant des sciences dans la vie de tous les jours et surtout en faisant en sorte qu’ils puissent pratiquer les sciences à travers des activités et non pas à se limiter à une série de résolution de problèmes théoriques sans lien apparent avec leurs vécus. Et ceci est rendu largement possible de nos jours avec les applications des mathématiques comme la programmation informatique, la cryptographie, la robotique, les statistiques, etc.



Voies et moyens pour encourager les élèves à s’engager dans les filières scientifiques 
 


Grâce à une étude comparative prenant en compte la question du genre, les participants ont pu mieux comprendre les facteurs de désaffection des sciences chez les élèves, et plus particulièrement chez les filles :  


Des débats ont permis aux participants de regrouper les principaux facteurs de démotivation chez les élèves : 


Avec le Pr Mamadou Sangharé, le regard s’est porté sur la nécessité d’ouvrir l’école sur l’espace proche des élèves, et de construire des situations d’apprentissage permettant aux élèves de saisir le sens et l’objectif des savoirs enseignés :  


Dr. Fagueye Ndiaye Sylla, formatrice au département de mathématiques de la FASTEF, est revenue sur son cursus scolaire et professionnel, ainsi que les défis auxquels elle a dû faire face : 


Une table-ronde a réuni Coumba Thiandoum, Directrice de la promotion scientifique, Rufina Dabo Sarr, ancienne professeure de SVT, ainsi que Saliou Diouf, Fagueye Ndiaye, et Mamadou B. Diaham, tous trois inspecteurs : 

Les intervenants ont mis l’accent sur la nécessité de déconstruire les stéréotypes, de sensibiliser à la fois les élèves et les parents à l’utilité des sciences, mais aussi de promouvoir les matières scientifiques au niveau institutionnel, à travers des bourses, et de meilleures procédures d’orientation des élèves. 


Bilan de ces Journées 


Les actes de ce séminaire seront bientôt publiés sur le site d’APPRENDRE. En attendant, que peut-on retenir de ces Journées ? Réponse en vidéo avec Cheikh Sidil Mbaye, rapporteur de l’évènement, expert en Aménagement numérique du territoire et Co-Fondateur/Coordonnateur du projet IDEAL : 


Le point de vue des Professeurs Serigne Touba Sall et Mangary Ka, organisateurs de l’évènement

Comment vous est venue l’idée d’organiser cet évènement ?  

Nous avons répondu à l’appel à manifestation d’intérêt du programme APPRENDRE pour l’organisation de Journées nationales de la recherche et de l’innovation en éducation.  

Des travaux de groupe et des communications ont fait ressortir des problématiques spécifiques. Lors des ateliers, des participants ont affirmé que certains élèves n’ont pas les capacités cognitives nécessaires pour s’engager dans des filières scientifiques. Est-ce qu’il n’y a pas au fond une forme de résistance de la part des “sachants” ? Est-ce qu’on ne chercherait pas à mystifier les sciences ?  

Cet avis ne fait pas l’unanimité.  

Parmi les causes qui expliqueraient la désertion des filières scientifiques, certains participants ont parlé du niveau des enseignants, et des erreurs qu’on peut parfois trouver dans des cours, ou des évaluations. Est-ce que vous faites le même constat ?  

Pas des erreurs, mais des insuffisances.  

Faut-il d’abord renforcer les savoirs académiques, puis les compétences didactiques des enseignants ?  

Pas nécessairement, il convient de développer une formation continuée adéquate.  

Le manuel scolaire est une béquille précieuse pour un enseignant novice. Est-ce que les manuels scolaires sénégalais aident les enseignants à préparer les contenus de cours, à structurer les connaissances et à mettre en mots des connaissances parfois complexes ?  

Le manuel scolaire est certes précieux, mais il n’est pas suffisant pour assurer ces fonctions.  

Comment se passe le recrutement des enseignants ? Est-ce qu’un entretien oral permet de mesurer la motivation d’un futur enseignant ?  

Le recrutement des enseignants se fait par voie de concours comportant des épreuves écrites suivies d’un entretien pour les candidats admissibles. Dans une certaine mesure un entretien oral peut permettre de mesurer la motivation du futur enseignant. 

 

Le séminaire a mis en avant le rôle des parents d’élèves. Comment convaincre des parents réfractaires à l’idée d’accompagner son enfant dans un parcours scientifique ?  

Le séminaire a cité plusieurs niveaux de responsabilité dont celui des parents.  

Les filières scientifiques semblent être sous-valorisées. Est-ce qu’une politique de discrimination positive serait la solution ? Si oui, quelles mesures concrètes semblent réalisables ?  

Les filières scientifiques sont désertées non pas parce qu’elles sont sous-valorisées, mais parce qu’elles ne sont pas attirantes.   

Quels sont les facteurs qui ont favorisé votre parcours ?   

Parce que dès l’école élémentaire j’étais fort dans les matières scientifiques et j’ai été encouragé à poursuivre par mes enseignants.  

Allez-vous soumettre des recommandations au ministère de l’Éducation ?  

Oui, les voici :  

  • Revoir les coefficients des matières scientifiques,  
  • Rénover les démarches pédagogiques ;  
  • Alléger les programmes scolaires,  
  • Adapter les niveaux de difficultés des évaluations aux enseignements,  
  • Sensibiliser les élèves dès l’élémentaire sur les filières scientifiques,  
  • Exploiter les fiches scolaires et les livrets de baccalauréat  
  • Assurer un renforcement académique, pédagogique et didactique des enseignants et mettre en synergies les structures de formation initiale et continue,   
  • Introduire l’enseignement en langue nationales dans le formel,  
  • Encourager l’élaboration de manuels conformes aux programmes,  
  • Réfléchir sur les voies et moyens d’assurer la continuité de la transition entre les cycles  
  • Rationaliser la carte scolaire  
  • Proposer des mesures incitatives aux professeurs des zones déshéritées,  
  • Rendre effectif la déconcentration et la décentralisation du système éducatif  
  • Rationaliser les effectifs des élèves dans les classes (maximum 45 élèves par classe)  
  • Promouvoir les STEM,  
  • Favoriser l’interdisciplinarité dans l’enseignement des sciences   
  • Promotion la culture scientifique (par encadrement et animation scientifique des établissements) 

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