Les Ateliers OAPE, « Observation et Analyse des Pratiques Enseignantes » (et nous ajoutons de celles des élèves cf article précédent de M. Altet 2022) du GTE1 sont assurés dans la plupart des pays par le Programme APPRENDRE. Que met-on derrière les termes Observer et Analyser et comment s’articulent-ils ? Ce court texte tentera de répondre à ces questions en les situant dans la logique du programme APPRENDRE ainsi que dans celle de la démarche de formation « L’ Analyse de Pratiques Professionnelles ».

Avant d’entrer dans la définition des termes, précisons qu’Observer et Analyser sont intimement liés. On posera ainsi comme premier principe que s’il est possible d’observer sans analyser l’inverse ne l’est pas dans l’approche développée au sein du programme. Pour comprendre cette interdépendance et l’articulation qui en découle, définissons les deux termes. 


Observer est une activité de collecte d’informations en classe ou lors d’une séquence professionnelle. Cela peut se faire à partir d’observables prédéterminés (grille thématique d’observation) ou de façon plus sauvage en relevant les faits les plus visibles. De ce fait, les stratégies d’observation peuvent être multiples et répondent à des intentions spécifiques. Si la singularité de l’observateur est engagée, la complexité de la situation d’observation (angle de vue, qualité du son, activité mentale non visible) ne permet de prétendre à une exhaustivité de cette dernière. En résumé, nous proposons de dire que l’observation est une activité composée d’un recueil de matériau lié à une intention et un « angle de vue » et de la description de ce matériau (Boucenna, Thiébaud & Vacher 2022).  Compte tenu de la complexité des faits observés et du caractère inaccessible de certains des phénomènes de la séquence professionnelle, l’activité d’observation nécessite de développer un savoir observer (Altet, Bru & Blanchard-Laville 2012). En se dotant de grilles, en s’entraînant, en délimitant le périmètre de l’observation, en préparant les conditions de mise en œuvre, le professionnel parvient à produire une observation de plus en plus en phase avec ses intentions. 

Une fois ce matériau constitué et décrit, que faire de celui-ci ? La phase d’analyse suit la phase d’observation. On comprend ici l’articulation logique qui unit les deux processus. L’observation fournit une matière à l’analyse qui ne peut être produite qu’à partir de celle-ci. 


Analyser est une activité de reconstruction de sens. Dans la démarche APPRENDRE elle a une visée compréhensive. En cela elle diffère d’approche à visée de jugement, de conseil ou évaluative par rapport à une norme attendue (cf article Talbot à suivre). La compréhension signifie que le professionnel cherche à dénouer puis retisser ce qu’il a observé sans interprétation préalable. Celui qui accompagne potentiellement l’analyse (formateur, inspecteur, encadrant…) ne se situe pas dans une posture extérieure dominante de celui qui sait mais bien dans une recherche de compréhension commune et accompagnante. Concrètement l’activité d’analyse se traduit par la réalisation de liens (non observables mais inférables) entre les éléments observés, Barbier résume cela en affirmant que « La spécificité de l’analyse : établir des liens entre des existants » (Barbier 2018). Décomposer les faits observés, identifier les récurrences, mettre en perspective les causes et les conséquences sont autant de processus mentaux qui se déploient pour analyser (Thiébaud & Vacher 2021). Il s’agira par exemple de réaliser des hypothèses relatives aux liens possibles entre l’organisation de l’espace et la motivation des élèves, entre la nature des consignes et la mise en activité des élèves, de relier un comportement d’élève à la réaction d’un autre ou à l’interpellation de l’enseignant(e) etc… L’analyse se traduit ainsi par la réalisation d’interprétations, d’hypothèse de compréhension. Le professionnel accompagné va chercher à reconstruire le scénario de l’histoire de la séquence (chronologie) mais aussi des interactions entre l’enseignant(e), les élèves et les contextes (vision systémique). 

Comme pour l’observation, l’analyse implique de développer un savoir analyser (Altet 1996). Plusieurs capacités sont ainsi mobilisées pour réaliser l’analyse : multiplier les angles de vue, mobiliser des outils d’analyse pertinents (cadres, modèles), penser la complexité des phénomènes. Face à la multitude des analyses possibles, aucune ne peut prétendre à l’objectivité ou l’exhaustivité. C’est cette subjectivité qui fonde la nature de l’analyse, elle est contextualisée et s’inscrit dans une chaîne d’intentions qui détermine l’entrée mais aussi la fin de l’analyse.  En d’autres termes, la question qui détermine l’activité d’analyse qui suit l’observation est : qu’attend-on de l’analyse ? 


Le couple observer-analyser s’inscrit dans une visée compréhensive, la finalité de l’activité est ainsi double : productive et constructive (Samurçay et Rabardel 2004). Si la seconde dimension porte sur le développement professionnel des acteurs, la première s’inscrit prioritairement au cœur de la démarche APPRENDRE. En effet, le programme vise l’amélioration et la transformation des pratiques professionnelles en vue de l’augmentation de la réussite, et plus spécifiquement ici, par l’analyse. L’analyse s’inscrit donc dans un cycle plus vaste (pratique-théorie-théorie, Altet 2000) dans lequel l’expérience du professionnel est un point de départ, d’arrivée et de nouveau départ (Kolb 1984). Si nous explorons la phase « théorie » de ce cycle, nous trouvons en son cœur l’analyse telle que nous l’avons décrite précédemment. Mais que faire du produit de l’analyse dans une perspective de transformation/amélioration des pratiques ? 

Pour répondre à cette question nous regarderons plusieurs auteurs qui mettent en évidence que l’analyse, au sens générique, recouvre en fait plusieurs processus de natures diverses (Altet, 2005, Charlier et Al 2013, Boucenna, Thiébaud & Vacher 2022). Pour résumer ces travaux, nous classerons ces composantes en 4 groupes qui s’ordonnent chronologiquement : 

  • La constitution du matériau et sa description. Les activités relèvent de l’observation au sens générique du terme. 
  • L’analyse à proprement dite. Telle que nous l’avons définie, elle se compose de la recomposition d’un sens à partir des activités de décomposition et de retissage de liens hypothétiques pertinents. 
  • La problématisation et la théorisation. La problématisation met en perspective les analyses pour en extraire des axes problématiques prioritaires ou dominants dans la pratique analysée. La théorisation constitue une prise de recul sur ces problématiques à partir d’outils conceptuels pédagogiques, didactiques, psycho-sociaux, pour faire de la compréhension une théorie potentielle de la logique de l’action. 
  • La formulation de nouvelles pistes d’action. Il s’agit de projeter cette théorie de l’action dans les pratiques réelles afin d’imaginer de nouvelles façons de faire, plus efficaces pour l’apprentissage des élèves. 

On notera donc que dans cette définition large du terme d’analyse, l’observation trouve une place en tant qu’entrée dans l’étape centrale du cycle pratique-théorie-pratique. De même, la phase de théorisation devient une composante de cette étape. Selon l’objectif et le contexte de l’analyse, la durée ou l’importance de ces composantes est variable. On notera par exemple que l’activité de théorisation est souvent réduite au profit de la phase de conception de nouvelles pratiques. Ces arbitrages sont à penser au regard des objectifs car l’absence de certaines composantes pourrait favoriser le retour de logique de jugement et de prescription contraire à l’éthique de la démarche APPRENDRE. 

En synthèse des apports précédents, nous pouvons affirmer que les processus d’observation et d’analyse sont complémentaires, il n’y a pas d’analyse sans observation mais une observation seule ne permet pas de soutenir le passage à l’intervention. L’analyse s’envisage en effet comme un pivot essentiel du changement des pratiques. Cependant nous avons aussi évoqué l’impact qu’elle pouvait avoir sur le développement professionnel de l’enseignant(e). A l’interface entre cette dimension productive et constructive de l’analyse, se situe un objectif présent en filigrane du programme APPRENDRE : celui du développement de la réflexivité. La capacité réflexive entrouvre pour les professionnels la perspective d’une autonomisation qui influence directement la possibilité de faire évoluer ses pratiques mais aussi celle de transformer, dans le temps, son identité professionnelle (Vacher 2022). 


Bibliographie  

Altet, M. (1996). Les compétences de l’enseignant-professionnel : entre savoirs, schèmes d’action et adaptation : le savoir-analyser », in Paquay L., Altet M., Charlier E., Perrenoud P., Former des enseignants-professionnels : quelles stratégies, quelles compétences ? Bruxelles : De Boeck. 

Altet, M. (2000). L’analyse de pratiques, une démarche de formation professionnalisante ? Recherche et Formation, 35, pp. 25-41. 

Altet, M. (2005). L’analyse des pratiques en formation initiale des enseignants : 5 étapes pour développer une pratique réflexive sur et pour l’action. IUFM des Pays de Loire, Nantes : Collections Ressources, 8, pp. 28-34. 

Altet, M. Bru, M. et Blanchard-Laville, C. (2012). Observer les pratiques enseignantes. Paris : L’Harmatan. 

Altet, M. (2022). Qu’est-ce qu’enseigner ? Ou comment le programme APPRENDRE cherche à comprendre la dynamique du processus interactif-enseignement-apprentissage. AUF. 

Barbier, J-M. (2018). Analyser ou évaluer ? https://theconversation.com/analyser-ou-evaluer-99535  

Boucenna, S. Thiébaud, M. et Vacher, Y. (2022). Accompagner avec l’analyse de pratiques professionnelles. Bruxelles : De Boeck. 

Charlier, E. Becker, J. Boucenna, S.  et Al (2013). Soutenir la demarche reflexive. Bruxelles : De Boeck. 

Kolb, D. A. (1984). Experiential learning: experiences as the source of learning and development. Englewood Cliffs, NJ : Prentice Hall. 

Samurçay, R. et Rabardel, P. (2004). Modèles pour l’analyse de l’activité et des compétences, propositions, In R. Samurçay, et P. Pastré, Recherches en didactique professionnelle. Toulouse, Octarès, p. 133-180. 

Thiébaud, M. & Vacher Y. (2021). Quelles analyses en codéveloppement ? In Le codéveloppement, Champagne C. Paris, Editions Eyrolles, pp 178-182 (2021). In Le groupe de codéveloppement, Champagne C. Montréal : PUQ, pp184-189. 

Vacher, Y. (2022). Construire une pratique réflexive : comprendre et agir. Bruxelles : De Boeck, (1ère édition 2015). 

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