La Journée internationale de l’Éducation est célébrée ce lundi 24 janvier 2022 sous le thème « Changer de cap, transformer l’éducation ». L’occasion de se demander pourquoi, en Afrique subsaharienne, le champ de pratique professionnelle de l’enseignement primaire reste très majoritairement occupé par des hommes. A travers une étude portée par le Prof Kakai Hygin, tentons de comprendre les enjeux sociétaux liés à ce phénomène.

Cliquez sur l’image pour télécharger l’étude.

L’étude se veut non seulement une analyse des politiques publiques éducatives mais aussi une réflexion sociologique des rôles de la femme enseignante dans une société en développement comme le Bénin.  

 
Si cette recherche concerne le Bénin, elle pointe toutefois des failles qu’on trouve dans de nombreux systèmes éducatifs africains.  



Les enseignantes, actrices de la qualité de l’éducation 


Les taux de féminisation de la profession se révèlent fort variables selon les pays. Dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne, les enseignantes demeurent minoritaires dans le paysage scolaire. D’après l’Institut de statistique de l’UNESCO, le pourcentage de femmes dans la profession avoisine les 44%, tandis qu’elles sont majoritaires dans les pays de l’OCDE. 

 
Au Bénin, les données sur les effectifs des enseignants au cours primaire indiquent que pour l’année scolaire 2016-2017, le personnel enseignant est à 75 % masculin.  
 

Le rapport PASEC2 019 indique que le déséquilibre entre hommes et femmes au sein du corps enseignant peut influencer de trois différentes manières les disparités entre les genres en matière d’acquis scolaires :  

  • un enseignant du même sexe que l’élève peut lui servir de modèle et renforcer son envie d’apprendre 
  • l’enseignant joue un rôle capital lorsqu’il s’agit d’instaurer un climat d’égalité entre filles et garçons ou de discrimination au sein de la classe 
  • les enseignantes peuvent offrir aux filles des contextes d’apprentissage plus sûrs, évitant d’éventuels problèmes de harcèlement sexuel et de violence liés au genre. 


La recherche en Afrique francophone sur les enseignantes 


Depuis les années 1990, certains travaux de recherche ont fait remarquer que les femmes enseignantes ont une influence positive sur le développement de la scolarisation des filles. Par exemple au Burkina Faso, une étude menée entre 1997-1998 montre une forte corrélation entre le taux de féminisation du corps enseignant et la présence des filles à l’école
 

Bien que ces études associent la mission des enseignantes à la scolarisation des filles, peu d’entre elles se sont intéressées aux conditions de travail et de vie des femmes enseignantes en Afrique francophone. La plupart des travaux consacrés à cet aspect du sujet sont des rapports portant essentiellement sur l’Afrique anglophone.  
 

Ces travaux ont mis l’accent sur la difficulté des enseignantes à exercer loin de leur domicile en raison des contraintes qui leur sont spécifiques : difficulté à trouver de garde pour leurs enfants, et difficulté à trouver un logement sécurisé à proximité de leur école.  

 
Ces études ont également montré que, dans plusieurs pays, les pratiques de l’administration ne favorisent pas le déploiement des enseignantes en milieu rural, c’est-à-dire ne facilitent pas l’affectation des enseignantes mariées vers le lieu de résidence de leur époux, qui se trouve être le plus souvent la ville. 
 



La situation socio-pédagogique de la femme enseignante dans son milieu professionnel aux cours primaire et secondaire 


Pour comprendre le phénomène de la masculinisation de l’enseignement en Afrique subsaharienne, il faut rechercher de nombreux facteurs explicatifs comme les conditions économiques, le droit, les traditions religieuses et culturelles, la durée des études, l’existence ou non de classes mixtes, les taux d’urbanisation et les guerres. 

Quels sont les facteurs socio-économiques qui expliquent l’arrivée des femmes dans l’enseignement ? Quel est leur statut au sein de l’enseignement par rapport aux hommes ? Comment la professionnalisation du métier et les problématiques spécifiques aux femmes (par exemple, le congé matérnité) influencent-elles la présence des femmes dans le métier ? 
 

L’étude « Parcours professionnel des femmes dans les systèmes éducatifs au Bénin », élucide des éléments explicatifs du phénomène de mise en minorité des femmes.



Développer le leadership féminin  


Plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes sont rares.  

L’état de l’effectif du personnel au Ministère de l’enseignement secondaire, technique et de la formation professionnelle (MESTFP) au titre de la gestion 2017 affiche 16 298 agents dont 2 262 femmes soit un pourcentage de 13,87%.  

Une enquête réalisée dans quatre départements du Bénin, auprès de 225 enseignants, tend à montrer que les femmes sont aussi sous-représentées dans les syndicats d’établissement.   

Par ailleurs, près des deux tiers des enseignants enquêtés estiment que l’accès à un poste administratif est plus facile pour un homme que pour une femme de même grade que ce dernier. Les raisons évoquées par les enquêtés traduisent entre autres que les femmes sont beaucoup plus occupées au foyer et qu’elles s’intéressent moins à ce type de responsabilité. 

Pour d’autres femmes, même si elles sont motivées pour passer les diplômes professionnels qui permettent l’accession à des postes de responsabilité dans le secteur, le phénomène du harcèlement sexuel vient émousser leurs ambitions. Au cours primaire, 20 enquêtés soit un pourcentage de 50% affirme que les enseignantes sont victimes du harcèlement sexuel de la part des enseignants
 

Sur 105 enseignants, 46,7% seulement accepteraient de se faire diriger par une femme. Nombreux sont donc des hommes enseignants qui refusent toute soumission à une femme enseignante. De l’avis de certaines femmes chefs d’établissements, certains enseignants mènent une lutte farouche pour faire échouer les femmes à la tête des établissements. Quand des situations de ce type surviennent, leurs syndicats ne sont pas toujours disposés à défendre leurs intérêts.  



Le poids des tâches domestiques et familiales 


Étant donné la disponibilité requise par l’exercice de la fonction, une majorité d’enseignantes envisagent de devenir chefs d’établissements seulement lorsqu’elles s’estiment suffisamment dégagées des tâches domestiques et familiales

Les difficultés émergent dès le concours d’accès à la fonction d’encadrement. Plusieurs femmes du niveau primaire comme secondaire dénoncent une inégalité liée à la maternité, aux contraintes familiales ou conjugales qui les empêchent de bien se préparer pour les concours. 



Mettre en place des mesures spéciales pour contrer les inégalités 


La priorité des réformes publiques éducatives au Bénin a rarement été de mettre l’accent sur certaines particularités de ses ressources humaines à travers, par exemple, la question du genre. Si à compétences égales lors des concours professionnels, les femmes sont préférées aux hommes, leur cause n’est pas entendue en ce qui concerne les contraintes familiales ou la maternité.  
 

Les réformes se sont plutôt focalisées sur certains aspects tel que le contenu des programmes. Ce manque de vision genrée des politiques publiques ne manque pas d’avoir des conséquences sur la qualité des pilotages et des mises en œuvre des programmes d’instruction et d’enseignement dispensés aux apprenants.  



Une politique de discrimination positive peut-elle être un tremplin pour les femmes ?  


Pour l’équipe de recherche, la place des femmes dans l’école va de pair avec l’évolution de cette institution. Une politique de recrutement massif et de promotion des femmes dans le secteur de l’éducation nationale ne serait rien d’autre qu’une reconnaissance sociale ou une consécration institutionnelle des rôles possibles que la femme peut être amenée à jouer au sein de sa collectivité.  
 

A l’heure de la discrimination positive et de l’égalité des chances, faut-il toutefois se pencher sur les manières de valoriser les compétences d’une enseignante, ou prioriser l’atteinte d’une parité statistique ? 


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