[Entretiens] L’implantation de l’Approche Par Compétences au Togo vue par des experts et des superviseurs pédagogiques 

Progressivement, les collèges togolais déploient une approche pédagogique axée sur les compétences: l’Approche Par Compétences (APC). Qui dit nouveau curriculum dit nouveaux contenus d’évaluations qui s’appuient sur des situations réelles. Mais comment faire en sorte que l’APC devienne la colonne vertébrale qui structure les pratiques pédagogiques des enseignants ? Comment aider les équipes enseignantes à changer leurs manières d’évaluer les apprentissages ? Pour le Ministère de l’Éducation du Togo, les inspecteurs doivent jouer un rôle clé. Du 17 au 28 octobre 2022, Ibrahima Sakho et Georges Yawo Dotsè Dara-Ahato ont renforcé les capacités de 40 inspecteurs du primaire et du secondaire, afin qu’ils soient en mesure d’accomplir leurs missions au sein des établissements. Ensemble, ils sont revenus sur les outils et la méthodologie de l’APC.


Regard des experts 


Ibrahima Sakho, est Enseignant-chercheur à la FASTEF-UCAD/Dakar et expert du GTE 7 “Suivi – évaluation des enseignements -apprentissages”

Dara-Ahat Yawo Dotsè, est Inspecteur de l’Education Nationale, option préscolaire et primaire, et Ingénieur-conseil en formation. 

Les experts aux côtés de Mme Charlotte Djani, Point focal d’APPRENDRE au Togo pour le primaire.

De nombreux pays d’Afrique ont opéré un tournant dans leurs modèles d’enseignement. Pourquoi l’Approche par Compétences est-elle si prisée ? 

Georges Yawo Dotsè Dara-Ahato: C’est dû à la conviction qu’on a qu’elle est une réponse aux défis de la qualité, de l’efficacité interne et de l’efficacité externe de l’éducation dans les systèmes éducatifs. Si elle est bien conduite, elle est une bonne stratégie qui contribuera à tendre vers l’atteinte de l’ODD4. 

Ibrahima Sakho: L’introduction de l’approche par les compétences dans les systèmes éducatifs d’Afrique, à l’instar des autres pays développés, procède de leur volonté de répondre aux exigences d’un monde où le développement du savoir se fait à une vitesse exponentielle. De ce fait, les modèles d’enseignement ne répondent plus au défi d’une éducation de qualité pour tous favorisant la réussite du plus grand nombre malgré les efforts en matière d’accès. Il s’y ajoute que les modèles dits traditionnels maintenaient l’école dans un système d’isolement fermé au milieu avec des contenus figés et difficilement transférables dans la vie courante.  


Quel est le niveau d’avancée de cette méthode pédagogique au Togo ?  

Georges Yawo Dotsè Dara-Ahato: Au primaire, le Togo a fait la généralisation jusqu’en 4e année (CE2) et le chantier qui va conduire à la généralisation à tout le cycle primaire à la rentrée 2023-2024 est en cours. Mais seulement deux champs disciplinaires sont couverts : le français et les mathématiques. 

Ibrahima Sakho: Ces jours de formations ont permis de constater que le système togolais a amorcé ce virage par :  

  • Des efforts dans l’adoption de l’approche de façon progressives,  
  • Une tentative de réécrire les documents de références arrimés à l’approche,  
  • Une volonté de former les acteurs à sa mise en œuvre. 

Certaines personnes craignent qu’avec l’implantation de cette approche, les compétences prennent le pas sur les connaissances. Est-ce le cas ? 

Georges Yawo Dotsè Dara-Ahato: Au Togo, cela ne risque pas d’arriver puisque l’entrée choisie est une entrée par les compétences disciplinaires où les connaissances sont installées en termes de savoir, savoir-faire et savoir-être puis sont mobilisées pour résoudre des problèmes complexes graduellement jusqu’à l’installation de la compétence. Il n’y a pas table rase de la PPO dans l’approche APC du Togo. 

Ibrahima Sakho: Beaucoup d’amalgames sont entretenues relativement à l’introduction de cette approche. À mon avis, c’est une méconnaissance des visées de l’approche qui se manifeste par ces réticences. En effet, la compétence est définie comme étant un savoir-agir permettant la mobilisation et la combinaison efficaces d’un ensemble de ressources internes et externes en vue de réaliser une tâche. Cette définition met l’emphase sur un préalable : disponibilité des RESSOURCES (internes) du savoir, du savoir-faire, du savoir-être qui ne sont rien d’autres que les connaissances et les habiletés acquises par les élèves. Un élève ne pourra jamais mobiliser des ressources qu’il n’a pas. Dire que l’approche par compétences relègue au second plan la maîtrise des connaissances est pour moi un faux débat.  

En adoptant l’APC, on continue de faire acquérir des connaissances et des habiletés ; mais on va plus loin en mettant les élèves dans des conditions de les mobiliser au service d’une tâche complexe qui donne sens aux apprentissages.  


Regard des participants 



L’APC est en train de s’implanter au Togo. En tant qu’encadreur pédagogique, quel rôle devez-vous jouer dans ce processus ? 


Inspecteur d’Anglais au secondaire: L’APC est en train de s’implanter au Togo, et en tant qu’encadreur pédagogique, mon rôle est  d’accompagner les enseignants, de les guider à mieux réussir leurs pratiques de classes afin de mieux préparer les apprenants à réussir et pouvoir s’insérer dans le monde du travail ou se prendre en charge.


Inspecteur de Physique-Chimie et technologie au secondaire: Nous avons le devoir de persuader les enseignants à la nécessité de s’approprier cette nouvelle approche. L’un des points sur lequel nous pouvons insister est que l’APC permet de donner un sens à l’apprentissage par la façon d’introduire la leçon, de poser le problème. Même si la PPO a ses avantages, nous exploiterons ses limites pour la persuasion des enseignants. La formation des enseignants à la stratégie d’enseignement-apprentissage et à l’évaluation, le suivi et l’accompagnement doivent être pour nous des leviers pour l’amélioration de l’enseignement/apprentissage. 

« En notre qualité d’encadreur, nous avons comme devoir de bien nous approprier les détails de cette approche, les expliquer aux enseignants, animer des séances de remédiation au cours desquelles les enseignants seront outillés pour mieux conduire les activités pédagogiques axées sur l’APC. Nous devons être garants de cette approche. »

Inspecteur au primaire

« Cette formation est venue a point nommée non seulement pour nous aider à mieux évaluer nos apprenants mais aussi pour nous permettre de mieux appliquer et réussir l’APC . Nous avons remarqué au cours de cet atelier que ce que nous faisions auparavant n’était pas complet. Nous avons eu l’impression qu’on s’arrêtait au niveau des habilités et que nous n’allions pas jusqu’à l’évaluation ou que celle-ci était mal faite. »

Inspecteur au primaire

Cette formation vous donne-t-elle le sentiment d’être plus à même d’accompagner les enseignants ? 


Inspecteur de Français au secondaire: Oui, sauf que nous devons multiplier les occasions (inspections de soutien, journées pédagogiques et conseils d’enseignement) pour que les enseignants mutualisent davantage leurs expériences et pratiques en vue de perfectionner leur pratique de classes. 


Inspecteur de Physique-Chimie et technologie au secondaire: Oui, en effet cette formation vient confirmer et consolider nos acquis des rencontres que nous avons eues depuis le lancement de ce processus il y a 4 ans. Du concept de la compétence à ses caractéristiques et ses implications sur l’évaluation, la planification, les différentes grilles d’évaluation…Nous avons eu des précisions qui nous permettent d’accompagner les enseignants sur le terrain. 

« Nous avons appris beaucoup de choses pour être à même d’accompagner les enseignants. C’est vrai qu’on ne finit jamais d’apprendre. »

Inspecteur au primaire

Suite à cette formation, comment allez-vous faire évoluer vos méthodes pédagogiques ?  


Inspecteur de Français au secondaire: Au lendemain de cette formation, nous devrions, pour un réel changement positif, mettre un accent particulier sur le compte rendu des évaluations avec les différentes grilles et surtout octroyer aux enseignants l’art de remédier avec toutes les étapes. Nous devons faire comprendre aux enseignants que l’apprentissage n’est efficace que lorsqu’il est donné pour servir toute la vie et non pas seulement pour un examen ou pour l’obtention d’un diplôme


Inspecteur au primaire: Je ferai évoluer mes méthodes pédagogiques en accompagnant les enseignants à élaborer des grilles d’évaluation formative qui tiennent compte non seulement de la situation problème d’intégration, mais aussi de la planification des ressources. Je le ferai également en faisant en sorte que les enseignants sachent que les rétroactions devront être valorisantes et permettre aux élèves de se corriger et de s’améliorer, et que les remédiations permettent de découvrir par eux-mêmes les stratégies qui favorisent cette amélioration. 

« Nous allons organiser des journées pédagogiques, encadrer des conseils d’enseignement et ensuite faire des visites de classe pour faire le suivi sur le terrain et y apporter des remédiations si nécessaires. »

Inspecteur d’Anglais au secondaire

« Nous pensons partir d’un échantillonnage, se faire la main et prier la hiérarchie de nous aider à relayer cette formation auprès de nos collègues personnels d’encadrement qui n’étaient pas associés à celle-ci et. Avec eux nous irons vers les enseignants ciblés et passer à la généralisation. »

Inspecteur d’Anglais au secondaire

Vous avez travaillé aux côtés d’une quarantaine de collègues venus de plusieurs régions du Togo. Les échanges ont-ils fait ressortir les mêmes ressentis, les mêmes difficultés ? 


Inspecteur au primaire: Les difficultés n’étaient pas les mêmes pour tous les participants. Certains éprouvent plus de difficultés en planification des ressources (savoirs, savoir-faire et savoir-être) alors que d’autres avaient des difficultés en élaboration de grilles d’évaluation et en analyse et interprétation des résultats de l’évaluation


Inspecteur de SVT au secondaire: Les ressentis ainsi que les difficultés des uns et des autres sont différents, étant donné que nous n’avons pas les mêmes perceptions vis-à-vis de cette nouvelle approche par compétences et le même niveau de maîtrise des contenus des formations antérieures. 


Inspecteur au primaire: Nos échanges ont fait ressortir les mêmes ressentis, les mêmes difficultés d’autant plus que nous utilisons les mêmes manuels


Inspecteur de Physique-Chimie et technologie au secondaire: La participation des uns et des autres, les questions de compréhension, les témoignages à mettre un lien entre ce qui se faisait et les stratégies et outils débattus lors de cette formation nous permettent d’affirmer que tous les participants partagent les mêmes sentiments. Les difficultés toujours évoquées sont liées aux effectifs pléthoriques et au caractère chronophage de l’approche. Il faut une adaptation. 


Que retenez-vous de cette formation ?  


Inspecteur au primaire: Nous avons beaucoup appris pendant cette formation. Nous nous sommes rendus compte que nous confondions habileté et compétence. Nous avons également compris les différentes étapes d’une évaluation formative. Nous n’oublions pas les caractéristiques d’une situation de compétence et le concept de rétroaction. Nous pouvons mieux accompagner les enseignants dans les planifications des apprentissages. Cette formation nous a beaucoup édifiés et notre souhait est que de telles formations se répètent pour toujours nous renforcer


« Nous sommes très impressionnés par la qualité des échanges et surtout par l’ingéniosité de l’expert sur plusieurs aspects de notre pratique de l’APC que nous devons renforcer par des notions et des méthodes novatrices et des outils pertinents. C’est un atelier très édifiant que nous saluons. »

Inspecteur d’Anglais au secondaire

Inspecteur de Physique-Chimie et technologie au secondaire: De cette formation, je retiens :  

- Le lancement de la formation par un texte pertinent : l’histoire de grignote et son exploitation pour dégager la posture de l’élève et celle de l’enseignant afin d’aboutir au concept de compétence, la place de l’erreur au cours de l’apprentissage.  

- Les précisions sur les caractéristiques d’une compétence : son caractère intégrateur, combinatoire, développemental, évolutif et individuel.  

- Les implications pour l’évaluation, la nécessité de créer des tâches complexes, des situations-problèmes. Et comme cela était déjà fait par le passé, cela n’empêche pas l’évaluation des ressources.

- Les valeurs fondamentales de l’évaluation comme la justice, l’égalité, l’équité mais aussi les valeurs instrumentales comme la cohérence, la rigueur et la transparence.  

- Les grilles d’évaluation : autoévaluation, la co-évaluation et l’évaluation par les pairs. On retrouve dans toutes ces grilles le fait que l’élève est à chaque fois placé au centre de ces outils. Et cela doit faciliter la prise en charge de ses difficultés éventuelles à travers sa prise de conscience, la réflexion métacognitive et la décision d’autoévaluation.   



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